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Un voyage d'Émile Combes à Auxerre en 1904

Le 4 septembre 1904, à 10 h 45, entre en gare d’Auxerre un train spécial en provenance de Laroche. À son bord se trouve Émile Combes, président du Conseil des ministres, ministre de l’Intérieur et des Cultes.

Une invitation de Charles Surugue

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Charles Surugue, maire d'Auxerre, en 1904 (Archives municipales d'Auxerre, 1 I 99)

Aux yeux du maire d’Auxerre, Charles Surugue, la présence du président du Conseil vient couronner la politique menée par la municipalité en ce début de xxe siècle. Il s’agit, lors d’une « fête locale, d’une fête municipale »1, de procéder à l’inauguration de bâtiments et d’équipements publics récemment construits ou rénovés. L’organisation matérielle des fêtes et de la venue du président du Conseil a donné lieu, entre juillet et août 1904, à d’abondants échanges de correspondance conservés par les Archives municipales2.

Selon le programme arrêté le 20 juillet 1904 par le conseil municipal, « les fêtes projetées devraient comprendre : l’inauguration du marché couvert ; la pose de la première pierre du nouvel hôtel de la Caisse d’Épargne, après entente avec l’administration de cette Caisse ; la pose de la première pierre des bâtiments militaires de l’hôpital après entente avec la Commission administrative de l’Établissement ; l’inauguration de l’avenue Victor-Hugo, avec visite de la nouvelle École normale ; la visite du nouvel asile des vieillards et de l’Orphelinat ; l’inauguration de l’école transformée du quartier du Temple ; l’inauguration de la nouvelle école du quartier du Pont ».

Le moment central de la journée doit être le banquet « qui aura lieu au marché, vers une heure de l’après-midi »« ouvert à tous par voie de souscription » et dont « le prix par tête ne dépassera pas quatre francs ». Suivra à la fin de la journée « une fête de nuit organisée au marché même et à ses abords comprenant une grande kermesse, un bal public ». Dans son élan, le conseil demande à la commission d’organisation d’examiner « s’il n’y aurait pas lieu d’organiser une sorte de continuation de fête pour le lendemain lundi »3.

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Un arc de triomphe rue du Pont (Archives municipales d'Auxerre, 1 I 99)

La décoration de la ville est largement laissée à l’initiative privée. Des souscriptions sont organisées par des comités de quartier afin de procéder à l’ornement des rues et de l’itinéraire du cortège officiel. Le 2 août, les industriels locaux ont été sollicités par le maire « en vue d’obtenir leur concours dans la construction de divers arcs de triomphe, dans lesquels ils trouveraient l’occasion de montrer au public, qui sera nombreux ce jour-là, les principaux types de produits fabriqués » sur un « un grand arc de triomphe à l’entrée du pont Paul-Bert, côté du quartier Saint-Gervais, avec la participation de MM. Guilliet frères, Therriat et divers autres industriels du quartier ».

Prévoyant la venue de « 20 000 étrangers », le maire Charles Surugue qui dirige fermement l’organisation de l’événement, prend contact avec les journaux et agences de presse, obtient l’affrètement de trains supplémentaires, ainsi que la présence du 4e Régiment d’infanterie pour assurer l’ordre.

 

Une date dans l'agenda politique d'Émile Combes

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Émile Combes en 1904 (Archives municipales d'Auxerre, 1 I 99)

Émile Combes, ancien séminariste animé de solides convictions anticléricales, a été ministre de l’Instruction et des Cultes en 1895. Il devient président du Conseil en juin 1902, à la suite de la victoire des Républicains du « Bloc des gauches ». Dans un contexte où les relations entre la République et l’Église se durcissent, le voyage à Auxerre est pour lui une occasion supplémentaire de développer son programme politique. Le choix de la date du déplacement est en lui-même un programme : le 4 septembre 1904 est le trente-quatrième anniversaire de la proclamation de la République.

Toutefois, le cabinet du président du Conseil a tenu à modérer le programme de la visite d’Émile Combes en insistant sur « la fatigue que ne manquerait pas, malgré toutes les précautions prises, de lui occasionner la promenade en voiture que vous voudriez lui voir accomplir à travers la ville, à l’issue du banquet » (lettre du 29 août 1904 au maire d’Auxerre).

Une journée bien remplie

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Le menu du banquet (Archives municipales d'Auxerre, 3 Kprov 6)

Revenons en gare Saint-Gervais. Accueilli par le maire Charles Surugue, le conseil municipal et de nombreuses personnalités politiques de l’Yonne et des départements voisins, Émile Combes gagne la place de la gare où se forme le cortège officiel qui se met en route en empruntant la rue de la Gare, l’avenue Gambetta et le pont Paul-Bert.

L’école du Pont, à peine achevée, est la première étape du président du Conseil. Via la rue du Pont et la rue Joubert, le cortège gagne la Préfecture où Émile Combes procède à la réception « des autorités, des corps constitués et [d]es fonctionnaires » (lettre du préfet de l’Yonne au maire d’Auxerre, 30 août 1904). Deux discours officiels ont lieu autour de la situation faite aux bouilleurs de cru.

À midi et demie, l’assistance se rend au marché couvert où a lieu le banquet. A la fin du banquet sont prononcés des discours. Charles Surugue présente les résultats de sa politique qui a pu « marquer une époque dans notre vieille cité par la création d’œuvres utiles ». Le député de l’Yonne Bienvenu-Martin, ami d’Émiles Combes demande dans son discours « la rupture définitive des liens officiels qui rattachent l’État à l’Église ».

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Le banquet à l'intérieur du marché couvert (Archives municipales d'Auxerre, 1 I 99)

À 14 h 30, Émile Combes prend la parole. Après être revenu sur les résultats des élections des conseils généraux qui confortent la légitimité du gouvernement, le président du Conseil expose le bilan de sa politique de suppression des congrégations enseignantes.

Mettant en évidence les manquements de la Papauté à l’application du concordat, c’est la séparation des Églises et de l’État qui doit désormais être envisagée afin d’inaugurer « une ère nouvelle et durable de concorde sociale, en garantissant aux communions religieuses une liberté réelle sous la souveraineté incontestée de l’État ». Émile Combes conclut en résumant le programme de son gouvernement en ces termes : « la réduction du service militaire..., l’impôt sur le revenu et [l]es retraites ouvrières. Les événements y ajoutent la séparation des Églises et de l’État ».

Dans l’après-midi, après avoir parcouru les promenades de la porte de Paris à la porte du Temple, le cortège officiel regagne la gare Saint-Gervais. Parti d’Auxerre à 17 h 45, Émile Combes arrivera à Paris à 22 h 35.

Le discours d'Auxerre et sa mémoire

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Émile Combes prononçant son discours (Archives municipales d'Auxerre, 1 I 99)

Le discours d’Auxerre qui annonce la loi de séparation des Églises et de l’État de 1905 a un retentissement immédiat dont la presse nationale fait l’écho, en publiant le discours sous forme d’extraits, voire parfois in-extenso.

On trouvera donc en ligne les comptes-rendus de différents journaux, équilibrés (Le Matin du 5 septembre 1904), favorables (L’Humanité du 5 septembre 1904), hostiles (Journal des débats politiques et littéraires du 6 septembre 1904 ; La Croix du 6 septembre 1904), voire violemment hostiles (La Gazette de France, du 6 septembre 1904).

 

À Auxerre, la mémoire de l’événement est entretenue par la municipalité Surugue qui publie un album souvenir illustré de photographies prises le jour-même par des membres du Photo-Club Auxerrois [consultable en ligne].

En 1906, le conseil municipal passe commande pour le musée de la ville d’un tableau représentant Émile Combes prononçant son discours. Les débats de notre conseil municipal ont aujourd’hui lieu devant cette œuvre exécutée par Émilie Desjeux.

 

J.-F. Bissonnet/Ville d'Auxerre - 2018

1. 1 I 99 : album « Fêtes d’inaugration du marché-couvert et de divers autres établissements municipaux » (s. d.), à retrouver en ligne.

2. 1 I 97 à 1 I 99.

3. 1 D 40, p. 378-379 : délibération du 20 juillet 1904.