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Le hameau de Laborde, 1857-1903

L'affaire de l'édification de la chapelle, du cimetière et de l'école communale du hameau de Laborde.

Pourquoi le terme d'« affaire » ? Parce qu'il s'avère que les relations entre les habitants du hameau de Laborde et la ville d'Auxerre ne furent pas un long fleuve tranquille pour le sujet qui nous occupe dans ce billet.

Il semble que depuis le XIIe siècle, le hameau de Laborde soit rattaché par des liens plus ou moins ténus à la ville d'Auxerre comme possession du comte d'Auxerre. Sous l'Ancien Régime, ses habitants relèvent d'ailleurs de la paroisse du faubourg Saint-Gervais puis, après la Révolution, de la paroisse de Saint-Pierre-en-Vallée.

Il n'empêche que l'éloignement est une donnée très concrète et prégnante en ces temps où le transport motorisé n'existe pas. Situé à environ 7 km du centre-ville d'Auxerre, les habitants du hameau de Laborde ne possèdent au XIXe siècle ni école, ni cimetière et encore moins un lieu de culte. Il leur faut donc parcourir ces 7 km aller-retour pour instruire leurs enfants, enterrer leurs morts, assister aux offices religieux et effectuer les démarches relatives à l'état-civil.

Une communauté des habitants se structure afin de faire vivre le hameau.

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Plan du projet d'acquisition de la propriété de la famille de La Breuille, 1857 (2 M 44)

En 1857, une grande maison est mise en vente par la famille de La Breuille : les habitants du hameau forment le projet d'acheter ce bien pour y établir l'école et la chapelle dans les bâtiments, et le cimetière dans le jardin. Le 2 février 1857, une pétition est envoyée dans ce sens au conseil municipal, qui dans un premier temps accueille favorablement la demande sous quelques conditions, notamment financières (8 habitants avaient déjà signé une promesse de vente et devaient s'engager à garantir à la ville toutes les suites de cette acquisition).

Cependant le projet connaît bientôt des difficultés et des retards : estimation du projet revue à la hausse, emplacement du cimetière jugé trop proche des habitations, atermoiements et incompréhensions administratives mutuelles.

Les habitants décident alors de se regrouper, et achètent ensemble par souscription en tant que « section de la commune d'Auxerre » la maison nécessaire à leur projet1.

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Extrait du plan d'une propriété appartenant aux habitants du hameau, 1860 (2 M 44)

En réaction la commune établit une commission spéciale2 pour étudier ces affaires, tandis que :

[les habitants de Laborde] « prirent parti de faire de eux-même pour l'école et pour la chapelle transférée dans une grange tous les travaux que l'architecte-voyer avaient indiqué dans son projet de 1857. L’instituteur communal fut installé dans la maison le 1er mars 1863. La nouvelle chapelle fut consacrée et la messe célébrée. Les habitants s'étaient donc cotisés pour cette nouvelle dépense. »3

 

En outre, les habitants acceptent la donation d'un terrain par M. Matussière en 1865 afin d'établir le cimetière sur une parcelle plus éloignée des habitations, cimetière qu'ils gèrent seuls jusqu'en 1893 : « Mais chose singulière, l'autorité municipale à qui appartient la police et la réglementation des cimetières parurent se désintéresser complètement du cimetière de Laborde. [...] Les habitants de Laborde en présence de ce désintéressement de l'administration municipale songèrent à faire eux-même leur cimetière. Le 15 août 1869 ils s'assemblèrent à la maison d'école et là ils décidèrent de créer des concessions de 1er classe au prix de 30 F et des concession de 2e classe au prix de 10 F »4.

N'ayant pas non plus de lavoir à disposition, ils acquièrent, en 1868, par souscription volontaire un terrain destiné à sa construction.

Les habitants de Laborde se trouvaient propriétaires de plusieurs biens. Cependant, ces projets sont exécutés sans attendre l'autorisation de la commune, ce qui marque le début de l’ambiguïté en matière de propriété foncière, et ce pour plus d'un siècle.

La question se déplace donc sur le terrain juridique.

Une première position considère que le droit permet à une section de commune d'être propriétaire de biens, les difficultés et les atermoiements de la commune n'étant dictés que par la crainte de voir le hameau demander à être érigé en commune (position défendue dans le rapport de 1865 au conseil municipal). Une seconde position, celle de la Ville, estime que les sections de communes ne peuvent être propriétaires. En outre, il est reproché aux habitants du hameau d'avoir effectué des travaux en organisant « tout à leur guise » : « il ne faut pas se le dissimuler, par la faute des habitants de la Borde, dont les intentions sont très louables, mais qui n'ont jamais pu s'entendre pour mettre leur affaire à fin d'une manière régulière, et ont eu le tort de pas en confier la direction à quelqu'un qui en aurait compris l'importance et la marche. »5

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Carte postale présentant la mairie-école de Laborde (3 Fi 566)

Des tentatives de résolution de cette ambiguïté seront lancées dès les années 1860, mais resteront lettre morte. Cela n'empêchera pas la Ville et son hameau de continuer à dialoguer et à mener des projets communs. Une nouvelle école à Laborde est d'ailleurs construite au tournant du XXe siècle par la Ville, mais sur un autre emplacement (actuelle mairie) pour éviter tout problème juridique : « Avant de construire une école sur ces immeubles, il serait indispensable que la propriété en fût acquise à la commune »6.

 

Néanmoins, il est à noter que Laborde continue durant cette période de jouir d'une certaine autonomie de gestion, reconnue par la commune : un adjoint est spécialement attaché au hameau dès 1894, justifié par l'éloignement du centre, et dès lors le hameau bénéfice du privilège de pouvoir tenir ses propres registres d'état civil.

En 1907, les habitants rassemblés en réunion publique décident de nommer une commission de cinq membres chargée « de faire produire par location les bâtiments et terrains communs ». Les habitants se réunissent une fois par an en réunion générale pour étudier, entre autres, les dépenses et recettes du produit de leurs biens. Un registre de procès-verbaux relatif à cette gestion sera ouvert dès 1907 et tenu jusqu'en 1951.

L'"affaire" n'est résolue qu'après plus de 100 ans.

En 1973, à l'occasion de la création du lotissement des Croisettes, le besoin de régulariser ces achats se fait pressant. La commune d'Auxerre devient alors pleinement propriétaire des terrains achetés par les habitants du hameau par deux actes de notoriété acquisitive passés devant notaire en 1974 et 1978.

 

V. Rousselet/Ville d'Auxerre - 2018

 

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1. acte notarié du 15 janvier 1859.

2. délibération du 17 avril 1860.

3. rapport de 1865 au conseil municipal.

4. rapport de Achille Ribain au conseil municipal du 5 septembre 1893.

5. lettre au maire du 15 septembre 1865.

6. lettre de Achille Ribain, avocat de la Ville, du 27 avril 1903.