La tour de l'horloge (I) : XVe-XVIIIe siècle
La construction de l’horloge dans la seconde moitié du XVe siècle est un signe de l’affirmation de la communauté des habitants d’Auxerre.
Construire une horloge publique est au Moyen Âge un acte fort. Il s’agit certes d’une dépense importante, mais également d’un acte symbolique : la mesure du temps assure aussi sa maîtrise. La construction d’une horloge par les Auxerrois participe d’un long processus qui voit en Occident les laïcs disputer la maîtrise du temps à l’Église1.
Posséder une horloge devient un signe d’urbanité ; les Auxerrois de la fin du XVe siècle l’ont bien compris et justifient ainsi la construction du bâtiment : « Il est bien necessaire, et aussi chose fort honneste, avoir en une telle cité ou afflue et habite grant peuple ung bel orloge »2.
1457-1484 : une longe période de construction
De l'église Saint-Eusèbe...
Vers 1411, les Auxerrois ont fait l’acquisition d’un « gros horloge à ressort et sonnerie », placé dans le clocher de l’église Saint-Eusèbe où se trouvent aussi la loge des guetteurs et la cloche du guet3. Il s’agit de la première attestation de l’horloge des habitants d’Auxerre ; toutefois, rien n’indique qu’il n’existait pas d’horloge publique à une date antérieure.
Dans les années 1420, les Auxerrois prennent la décision de déplacer leur horloge, sans doute afin que sa sonnerie puisse être entendue par l’ensemble des quartiers de la ville. La réalisation de la charpente de cette horloge a lieu dans le couvent des Cordeliers ; un incident du chantier entraîne l’incendie du couvent en juin 1425. Les habitants doivent indemniser les Cordeliers, ce qui entraîne l’arrêt du projet4.
… À la tour Gaillarde
En août 1457, la communauté d’habitant obtient la permission d’implanter l’horloge à son emplacement actuel : « Les habitans de notre ville dudit Aucerre nous ont fait exposer que pour le bien publicque de ladite ville, il leur est besoing et ont voulenté faire faire une orloge, laquelle… seroit tres propice estre assise sur la porte auprez notre chasteau dudit Aucerre et la cloche d’icellui orloge sur une tour dudit chasteau que on dist la tour Gaillarde »5.
Cette nouvelle implantation ne doit rien au hasard : l’horloge est désormais voisine de l’hôtel de ville nouvellement achevé en 14526. L’église Saint-Eusèbe qui abritait à la fois l’horloge publique, les archives et les réunions de la communauté d’habitants est délaissée au profit de nouveaux bâtiments qui sont la propriété des habitants eux-mêmes. La puissance de la communauté d’habitants s’affiche désormais dans le paysage urbain, à proximité immédiate du château des comtes d’Auxerre.
L'aménagement de la tour Gaillarde
Les travaux commencent rapidement : un procès-verbal d’assemblée générale des habitants de juillet 1458 approuve le paiement de l’ouvrage sur les deniers communs7. La voûte de la porte est reprise en 1460, tandis le sommet de la tour Gaillarde, auparavant carré, est restauré afin de le rendre rond, ce qui assure plus de solidité à l’édifice. En 1462 les appeaux (petites cloches immobiles) de l’ancienne horloge sont transférés sur place8.
C’est en 1469 qu’un marché est conclu avec un certain Jean, maître horloger, pour la réalisation des mouvements de l’horloge9.
Les travaux se ralentissent dans les années 1470, « tant pour raison des guerres qui par cydevant ont eu cours que aussi pour la sterilité de biens des annees passees », en raison des événements politiques et de la mauvaise conjoncture agricole que connaît l’Auxerrois10.
La fonte des cloches
Au début des années 1480, un marché est passé avec un fondeur parisien pour la fourniture d’une cloche « du même son que celle de l’horloge du Palais à Paris »11.
Il s’agit certainement de J. Caradon dont le nom apparaît sur la grande cloche, coulée en 1483. Deux autres cloches, une petite et une moyenne ont été coulées en 148212.
Charles VIII autorise en janvier 1484 le règlement des travaux de fonte des cloches et de charpente sur les deniers communs. Il est probable que la construction ait été achevée dans le milieu des années 1480.
Entretenir un symbole du pouvoir de la ville
D’or et de couleurs
Sous l’Ancien Régime, l’horloge est un bâtiment orné de motifs et de symboles héraldiques – colorés et dorés lorsque les finances communales le permettent – qui rappelant la fidélité de la communauté d’habitants au roi. Ainsi, en 1612, la ville dépense 320 livres pour la réfection de la dorure et de la peinture des « feuillages, dauphins, salamandres et piédroits » ornant l’édifice13.
En 1669, le charpentier en charge de la réfection de la couverture de la flèche doit « descendre les deux escuissons qui sont à la dicte flèche où estoient empreintes les armes du roy et de la dicte ville, redorer iceux escuissons bien et duement d’or en feuilles, faire le fond des dits escuissons d’azur et après, reposer yceux aux lieux où ils estoient et les attacher bien et deument14».
L'entretien mécanique
L’horloge comprend deux cadrans : le premier à l’ouest donne l’heure, tandis que le second, à l’est, indique la position du soleil ainsi que la position et les phases de la lune15. Il s’agit d’un mécanisme complexe et la communauté d’habitants passe régulièrement des marchés avec des horlogers chargés d’en assurer le bon fonctionnement. Ainsi, par exemple en 1654, lorsque l’horloger Pierre Dubois est engagé car l’horloge ne sonne plus16. En 1774, l’horloger Jacques Chapuy se voit confier à deux reprises l’entretien de l’horloge pour dix ans17. Et à l’heure où le pouvoir royal se met à contrôler plus étroitement les dépenses de la ville, à la partir de la fin du XVIIe siècle, la maintenance de l’horloge reste une dépense ordinaire reconduite tous les ans.
En 1722, la ville conclut un marché avec l’horloger Pierre Micouin, pour transformer l’horloge en horloge à pendule. Il s’agit sans doute de la dernière modification notable du mécanisme avant sa réfection en 181718.
L'entretien du bâtiment
Le bâtiment fait l’objet de chantiers réguliers ; les marchés conservés aux Archives municipales ne remontent pas au-delà du XVIIe siècle et concernent essentiellement des travaux de travaux de charpente et de couverture (1628, 1641, 1669, 1719-1723).
En 1772, une tempête renverse deux flèches de pierre construites au-dessus de l’arcade19.
Les cadrans font l’objet d’une réfection à la fin du XVIIe siècle : en 1670, le cadran de la rue de la draperie est remplacé par un cadran peint sur feuille de cuivre rouge20 ; en 1672, c’est au tour du cadran du côté de l’hôtel de ville. Ces deux cadrans sont remplacés en 1814 par des cadrans peints à l’huile sur une couche de mastic21. Un cadran solaire est ajouté en décembre 174722.
Deux épisodes dans la vie de l'horloge avant la Révolution
Prison...
Avant d’abriter la sonnerie de l’horloge, la tour Gaillarde a probablement servi de prison, ainsi qu’en témoignent des inscriptions hébraïques datant de la fin du XIVe siècle qui ont été découvertes lors des travaux de restauration du XIXe siècle23.
Scandant les heures pour tous, l’horloge permet aussi la mesure du temps de travail. Dans la première moitié du XVe siècle, au moment où les Auxerrois s’interrogent sur l’opportunité de construire une horloge, les propriétaires de vignes font face à un conflit du travail qui les oppose aux vignerons. Ce conflit court des années 1390 aux années 1480 ; il porte sur le prix et sur la durée de la journée de travail. En juin 1447 les vignerons obtiennent un arbitrage qui leur est favorable, fixant la fin de leur journée de travail à 7 heures, avec un repos de 3 heures24. L’application d’une telle mesure nécessite une mesure efficace du temps et donc la présence d’une horloge en ville.
… et cachette de profession de foi
En 1564, lors des troubles des guerres de religion, les protestants d’Auxerre qui se réunissent pour leur prêche dans une maison du faubourg Saint-Amâtre rédigent une profession de foi signée par une centaine de personnes. Afin de mettre ce document à l’abri, un couvreur travaillant sur la flèche de l’horloge est chargé de le cacher dans un globe supportant la girouette. Le document est redécouvert par un ouvrier au XVIIIe siècle, avant d’être brûlé afin de ne pas compromettre les descendants des familles protestante25!
J.-F. Bissonnet/Ville d'Auxerre - 2019
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1. Jacques Le Goff, « Temps de l’église, temps du marchand », Annales, 1960, 15-3, p. 417-433 (en ligne).
2. AM Auxerre Feudiste 116 n° 3 (20 janvier 1484).
3. André Potel, « Mémoire sur l’horloge de la ville d’Auxerre », Recueil de pièces d’antiquités sur la ville d’Auxerre, Auxerre, F. Fournier, 1776, p. 81-88 (en ligne). Adolphe Lechat, « Horloge d’Auxerre », Annuaire statistique du département de l’Yonne, 1841, p. 63-79, à la p. 68 (en ligne).
4. Maximilien Quantin, « Histoire anecdotique des rues d'Auxerre... » (en ligne). Adolphe Lechat, « Horloge d’Auxerre », Annuaire statistique du département de l’Yonne, 1841, p. 63-79, à la p. 69 (en ligne). Adolphe Lechat, « Sur les horloges : horloge d’Auxerre », Almanach de l’Yonne, 1853, p. 3-18, à la p. 6.
5. AM Auxerre, Feudiste 116 n° 1 (16 août 1457).
6. Jean Lebeuf, Mémoires concernant l'histoire civile et ecclésiastique d'Auxerre et de son ancien diocèse, t. 3, Auxerre-Paris, Perriquet et Rouillé/Dumoulin, 1855, p. 319-320 (en ligne).
7. AM Auxerre, Feudiste 116 n° 2 (juillet 1458).
8. André Potel, « Mémoire sur l’horloge... », op. cit., p. 83.
9. André Potel, « Mémoire sur l’horloge... », op. cit., p. 85.
10. AM Auxerre, Feudiste 116 n° 3 (20 janvier 1484).
11. André Potel, « Mémoire sur l’horloge... », op. cit., p. 84.
12. Adolphe Lechat, « L’horloge d’Auxerre : notes complémentaires », Annuaire statistique du département de l’Yonne, 1883, p. 10-26, à la p. 23 (en ligne) ; Charles Porée, « Épigraphie campanaire de l’Yonne suivie d’une liste de fondeurs ayant travaillé dans la région », Bulletin de la Société des sciences historiques et naturelles de l’Yonne, 1917, vol. 70, p. 271-359 (en ligne)
13. Adolphe Lechat, « Sur les horloges... », art. cit., à la p. 13.
15. Jules David, « Le cadran astronomique de l’horloge d’Auxerre », Bulletin de la Société des sciences historiques et naturelles de l’Yonne, 1906, vol. 60, p. 5-21 (en ligne).
16. AM Auxerre, Feudiste 116 n° 6 (6 décembre 1654-27 juillet 1656).
17. AM Auxerre DD 14 (2 mars 1774-25 avril 1784).
18. Jules David, « Le cadran astronomique... », art. cit.
19. Adolphe Lechat, « Sur les horloges... », art. cit., à la p. 11.
21. Adolphe Lechat, « Sur les horloges... », art. cit., à la p. 13.
22. Adolphe Lechat, « Sur les horloges... », art. cit., à la p. 12.
23. Francis Molard, « Inscription hébraïque trouvée dans la tour de l’horloge, durant les dernières réparations », dans Bulletin de la Société des sciences historiaues et naturelles de l’Yonne, 1893, p. 573-574 (en ligne).
24. AM Auxerre, Feudiste 7 n° 4 (5 juin 1447).
25. Jean Lebeuf, Mémoires concernant l'histoire..., op. cit., t. 3, p. 413 (en ligne).