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1585, Jacques Amyot veille sur Auxerre

Connu à Auxerre pour avoir fondé le collège, devenu le lycée qui porte son nom, Jacques Amyot est également célèbre pour son œuvre de traducteur des ouvrages de Plutarque. Évêque d’Auxerre depuis 1570, il s’illustre notamment par la mise en chantier du chœur de la cathédrale, par la publication d’un nouveau bréviaire ou par la rédaction d’un règlement de l’Hôtel-Dieu de la Madeleine.

On connaît peu le rôle d’intermédiaire que Jacques Amyot a joué entre les habitants d’Auxerre et le roi Henri III. Son action peut être mise en lumière à travers quatre lettres conservées aux Archives municipales d’Auxerre et adressées aux Auxerrois à un moment critique de l’histoire de la ville.

Une brillante ascension

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Portrait de Jacques Amyot par Léonard Gaultier. Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, RESERVE FOL-QB-201 (11)

Né dans un milieu modeste à Melun en 1513, Jacques Amyot effectue successivement ses études de droit au collège de Navarre à Paris, puis à l’université de Bourges. Grâce à l’intervention de Marguerite de Valois, il obtient une chaire de grec et de latin dans cette université. Après un voyage en Italie où il s’acquitte de missions diplomatiques tout en travaillant à ses traductions, il est présenté au roi Henri II qui l’institue précepteur de ses fils. Jacques Amyot noue ainsi des liens privilégiés avec le futur Charles IX, qui le nomme grand aumônier, conseiller d’État et conservateur de l’Université de Paris à son avènement en 1560, et avec le futur Henri III qui le fait commandeur de l’ordre du Saint-Esprit en 1578. Après son accession à l’évêché d’Auxerre, Jacques Amyot partage son temps entre son diocèse et la cour où l’appelle régulièrement sa charge de grand aumônier.

L'année 1585

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Portrait d'Henri de Lorraine, duc de Guise. Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, RESERVE FOL-QB-201 (9)

À Auxerre, au milieu des années 1580 où nous transportent les lettres de Jacques Amyot, le souvenir de l’occupation de la ville par les Huguenots en 1567 est encore douloureux. Les récoltes des années 1583, 1584 et 1585 ont été mauvaises ; une imposition spéciale a même été créée pour porter assistance aux pauvres. Les maladies contagieuses, nommées « pestes » font périodiquement leur apparition – pour soigner les malades, on a construit à cet effet l’hôpital de la Maladière, en 1580. Et les campagnes environnantes sont régulièrement sillonnées par les gens de guerre : la fin des opérations militaires condamne des troupes inoccupées à vivre sur le pays, tandis que les recrutements menés dans les régions environnantes par le duc d’Anjou au début des années 1580 entraînent d’importants passages d’hommes armés dans l’Auxerrois.

La situation à la tête du royaume n’est pas meilleure. La mort du duc d’Anjou, le frère d’Henri III, en juin 1584, ouvre une crise de succession. L’autorité d’Henri III, qui n’aura pas d’enfant, est mal assurée.

L’héritier présomptif du trône est Henri de Navarre, le futur Henri IV, chef du parti protestant. L’accession d’un protestant n’est pas envisageable par une majorité de catholiques : une partie de l’aristocratie et les militants catholiques parisiens trouvent donc appui auprès du duc de Guise, Henri de Lorraine.

La Ligue

Manifestant son opposition à la reconnaissance d’Henri de Navarre comme roi de France, Henri de Lorraine quitte Paris au cours de l’été 1584. Il se retire dans ses terres de Champagne et de Brie, provinces dont il est le gouverneur ; il y mobilise ses fidèles et obtient le soutien de l’Espagne (traité de Joinville, 17 janvier 1585). Henri de Lorraine peut compter sur le soutien de son frère, le duc de Mayenne, l’un des principaux commandants de l’armée royale qui assure le gouvernement de Bourgogne.

Auxerre, proche des régions soulevées par le duc de Guise et le duc de Mayenne, fait l’objet d’attention toutes particulières de la part de roi, qui recommande de veiller à la sûreté de la ville (lettre du 23 mars 15851). Ces ordres sont soigneusement appliqués par le bailli d’Auxerre qui promulgue une ordonnance pour la garde de la ville (2 avril 15852).

L'intervention de Jacques Amyot en faveur des Auxerrois

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Portrait d'Henri III en 1581 par Jean de Court. Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, RESERVE BOITE FOL-NA-22 (12)

Devant la menace de voir Auxerre passer du côté de la rébellion, les proches du roi demandent l’envoi d’une garnison à Auxerre. Jacques Amyot intercède en faveur des habitants qu’il estime être fidèles au roi et obtient gain de cause. Il l’écrit aux Auxerrois le 13 avril 1585 :

« j’ay obligé ma foy et mon honneur pour vous, disant que vous estiez tous bien unis et concordé en voulonté de vous maintenir et garder contre tous en son service, et il [le roi] le respondit en ces propres termes à ceulx qui interceddoient pour le sr de Chaumont qui demandoit a estre envoyé en votre ville pour y commander »3.

Le même jour, Henri III confirme les dires de l’évêque et compte sur la loyauté des Auxerrois : « nous avons telle confiance en vous, et votre loyauté de long temps esprouvée, que nous tenons notredite ville plus asseurée en notre obeyssance soubz la fidele garde des citoyans que de toutes autres forces que l’on pourroit mectre dedans... nous asseurans que vous la conserverez soubz notre obeyssance, avec la fidelité que l’on peult actendre de tres loyaux subjectz ».

Et comme « nous avons veu la surprise qui a ja esté faicte d’aucunes de noz villes », le roi ordonne aux habitants d’Auxerre de ne pas recevoir de princes, y compris le duc de Mayenne4.

Auxerre reste fidèle à Henri III

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Portrait de Charles de Lorraine, duc de Mayenne. Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, RESERVE FOL-QB-201 (18)

Tandis que le duc de Guise prend Metz, Toul, et Verdun, le duc de Mayenne qui marche avec 600 arquebusiers, 400 chevaux et de l’artillerie s’approche de Tonnerre et prend ensuite la direction d’Auxerre, en saccageant au passage Saint-Cyr-les-Colons. Mais la ville d’Auxerre, sensible aux arguments du roi et de son évêque, refuse d’ouvrir ses portes aux insurgés.

Le 26 juin 1585, le roi remercie les habitants d’avoir refusé le passage au duc de Mayenne et à ses troupes, tout en réitérant l’interdiction de le recevoir à Auxerre, lui ou ceux de son parti5.

Le même jour, Jacques Amyot transmets les remerciements du roi aux Auxerrois. « Il m’a dit que vous aviez tres bien faict et vous en sçait bon gré, et veult que vous continuez de faire de mesme à quiconque soit qui veuille entrer en fort en votre ville sans son expresse commission », tout en évoquant les préparatifs de la paix avec les « princes soublevez qui ont donné leur parolle de pacification » qui doit être conclue à Sens ou dans les environs6.

En position de faiblesse, le roi a engagé des négociations dès le mois d’avril. La paix ne sera pas signée à Sens, en raison de la peste qui y règne, mais à Nemours le 7 juillet 1585. Le traité de Nemours fait de la religion catholique la seule pratiquée dans le royaume et accorde aux ligueurs des places de sûreté. Les esprits ne demandent qu’à s’enflammer à nouveau...

L’influence de l’évêque Jacques Amyot relayant les ordres du roi a permis à Auxerre de rester fidèle au roi. Mais quelques années plus tard, Auxerre basculera du côté de la Ligue, au point que Jacques Amyot sera considéré comme personna non grata dans sa propre ville.

J.-F. Bissonnet/Ville d'Auxerre - 2018

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Signature de Jacques Amyot (Archives municipales d'Auxerre, Feudiste 210 n° 8)

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1. Feudiste 210 n° 1.

2. Feudiste 210 n° 2.

3. Feudiste 210 n° 3.

4. Feudiste 210 n° 4.

5. Feudiste 210 n° 7.

6. Feudiste 210 n° 8.