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Les chevaliers de l'arquebuse

Ils ont laissé le nom de leur activité favorite à une place de la ville ; ils ont créé l’ancêtre de nos sociétés de tir ; ils formaient aussi une sorte de club un peu chic : voici les chevaliers de l’arquebuse...

Une compagnie d'arquebusiers

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Le "palais de l'arquebuse" de la ville de Soissons. Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, EST RESERVE VE-26 (J)

En mai 1729, l’assemblée générale des habitants d’Auxerre examine la requête d’un groupe de douze jeunes gens. Depuis deux ans, sur le rempart entre la porte d’Égleny et la tour Saint-Vigile, ils s’entraînent au tir à l’arquebuse et désirent que leur activité soit officiellement reconnue. Au XVIIIe siècle l’arquebuse est une arme à feu qui a perdu son intérêt militaire depuis longtemps, au profit du mousquet devenu fusil au fur et à mesure des perfectionnements. Mais le tir à l’arquebuse constitue un bon entraînement à l’art de la guerre. La proposition des jeunes gens est donc adoptée par les habitants1 et à la fin de l’année 1729, le roi permet aux « habitans de [la] ville d’Auxerre d’établir et élire volontairement une compagnie de cent arquebuziers »2.

Cette création est en réalité une recréation, puisqu’une compagnie d’arquebusiers, elle-même héritière d’une compagnie d’arbalétriers, a déjà existé à Auxerre jusqu’aux années 1620. Mais les querelles entre membres qui apparaissent dans les archives ont peut-être conduit à sa mise en sommeil et à la dissolution de cette compagnie.

Les statuts de la société créée en 1729 s’inspirent des privilèges et statuts de l’ancienne compagnie d’arquebusiers, mais ils empruntent aussi à des compagnies similaires qui existent à Dijon, Avallon et Beaune depuis le XVIIe siècle.

Le recrutement des membres, les chevaliers, doit s’effectuer exclusivement parmi les officiers militaires, les officiers de justice, les bourgeois ou les marchands, « à l’exclusion de tous autres ». Les chevaliers se réunissent les « premier et second dimanches des mois pour faire l’exercice de l’art militaire et jeu de l’arquebuze ». En outre, ils organisent tous les ans à la Saint-Jean-Baptiste (le 24 juin), un concours de tir.

Rois et empereurs de l'arquebuse

Le vainqueur de cette épreuve, celui qui abat l’« oyseau d’un coup d’arquebuze ou [met] le plus proche dans le noir de la cible », est proclamé « roi de l’oiseau ». Il bénéficie pour un an d’une exemption de tailles, du logement de gens de guerre, des subsistances, droits d’aides et de gabelles, et des droits sur les vins qui se lèvent à Auxerre. Il assure en outre le commandement de sa compagnie pour l’année à venir. Un candidat vainqueur trois années consécutives est proclamé « empereur » et bénéficie des mêmes exemptions sa vie durant, y compris sa veuve le cas échéant, pour la durée de son veuvage.

Les privilèges fiscaux accordés aux vainqueurs ne sont pas négligeables, mais le corps de ville juge convenable de n’accorder d’exemption des droits sur le vin que dans la limite de cent feuillettes vendues en gros, ou soixante vendues au détail. Ceci afin de prévenir l’achat de vignes par des chevaliers qui seraient désireux d’abuser de leurs privilèges.

Les statuts de la compagnie et le règlement de l’exercice des chevaliers sont définitivement homologués par le corps de ville le 22 juin 17303. Le même jour, le corps de ville reçoit les serments des chevaliers4.

L'exercice de tir du 24 juin 1730

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Le tir de l’oiseau à Nantes au XVIIe siècle. Les épreuves de tir de l’oiseau se pratiquent à peu près de la même manière à Auxerre. À droite, l’arquebusier tente d’atteindre l’oiseau fixé au sommet du mât. En bas à droite, rédaction du procès-verbal. BNF,

Le premier exercice de tir a lieu le 24 juin 1730, jour de la Saint-Jean-Baptiste. Les chevaliers se rendent en cortège sur le rempart.

« Leur brillant uniforme se composait d’un habit de drap écarlate, avec boutons d’or, et de plumets blancs sur leur chapeaux. Leur drapeau de soie blanche portait l’écusson du prince de Condé et celui de la ville. Chacun d’eux avait l’arquebuse au bras et l’épée au côté »5.

Les séances de tir du concours du 24 juin se déroulent jusqu’à la Révolution selon un cérémonial presque immuable, en présence de membres de la municipalité qui en dressent le procès-verbal scrupuleux.

Les chevaliers dans la ville

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Le pavillon de l'Arquebuse, années 1970 (photographie Phéliphot, Archives municipales d'Auxerre, 1 Sprov 26 bis)

Le paysage urbain d’Auxerre garde encore la mémoire du concours de tir de l’oiseau. Le pavillon de l’arquebuse est un monument familier aux Auxerrois ; mais on doit aussi aux chevaliers de l’arquebuse la création de la première promenade ouverte au public à Auxerre.

Le nombre croissant des chevaliers incite la compagnie à quitter le rempart pour faire leur exercice. Les chevaliers de l’arquebuse effectuent en mars et en août 1731 l’acquisition de deux parcelles de terre au faubourg Saint-Amâtre, près de la porte du Temple6.

Suivant l’exemple d’autres compagnies d’arquebusiers, les chevaliers de l’arquebuse arrêtent en 1734 la construction d’un pavillon, associé à un bâtiment du concierge, en lieu et place de la baraque qu’il fallait reconstruire à chaque exercice. L’architecte Guilbert-Latour en dresse le plan et dirige les travaux gratuitement7. Les travaux de construction s’achèvent en 1734.

Avec l’achèvement du pavillon, les chevaliers font clôturer leur terrain planté de tilleuls et de marronniers, entouré de haies vives, au grand regret des habitants qui ont pris l’habitude de venir se promener sur le terrain d’exercice. La fermeture du terrain est si vivement ressentie qu’en réaction, certains bourgeois financent sur leurs deniers personnels l’aménagement de la promenade du Temple. Le ville ne prendra le relais qu’en 1741 avec l’aménagement de la première promenade entre les portes d’Égleny et de Saint-Siméon8.

L’aménagement du pavillon est parachevé en 1754 avec l’acquisition pour la salle haute d’une collection de 180 portrait des rois de France, ducs de Bourgogne, généraux français, princes français, allemands et espagnols9.

Disparition de la compagnie

La compagnie des chevaliers de l’arquebuse disparaît avec la Révolution : la loi du 29 septembre 1791 supprime les corporations d’arquebusiers au profit de la garde nationale. La collection de portraits est également détruite durant la Révolution, par le deuxième bataillon des gardes nationales du Gard de passage à Auxerre en septembre 1792.

Les seuls témoignages aujourd’hui subsistants des chevaliers de l’arquebuse sont le pavillon place de l’Arquebuse et les archives de la société, conservées aux Archives et à la Bibliothèque municipale.

J.-F. Bissonnet/Ville d'Auxerre - 2018

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1. Feudiste 79 n° 38 : procès-verbal d'assemblée générale des habitants par Gaspard Coullault de Berry, échevin d'Auxerre (15 mai 1729).

2. Feudiste 167 n° 13 : lettres patentes de Louis XV (décembre 1729).

3. Feudiste 167 n° 16 : règlement et procès-verbal d’homologation (22 juin 1730).

4. Feudiste 167 n° 17 : procès-verbal du maire et des échevins (22 juin 1730).

5. Olivier-Jacques Chardon, Histoire de la ville d'Auxerre jusqu’aux États généraux de 1789, t. 2, Auxerre, Impr. Gallot-Fournier, 1835, p. 433-434.

6. Ibid., p. 438.

7. Ibid., p. 440.

8. Ibid., p. 442-443 et 454-455.

9. Olivier-Jacques Chardon, Histoire de la ville d'Auxerre..., op. cit., p. 443 ; Adrien Lechat, « Les chevaliers de l’Arquebuse », dans Annuaire de l’Yonne, 1840, p. 104-117, aux p. 116-117.