Les marchés d'Auxerre au XIXe siècle
Au cours du XIXe siècle, la municipalité d'Auxerre centralise progressivement les marchés autour de la place du marché (actuelle place des Cordeliers) pour aboutir, non sans vicissitudes, à la construction d’un marché couvert.
Les lieux du commerce de détail au début du XIXe siècle
Halle au blé et halle au poisson
À la fin de la Révolution, les lieux du commerce de détail alimentaire sont encore largement ceux de l’Ancien Régime. Deux bâtiments sont le symbole de ce commerce : la halle au blé et la halle au poisson.
La halle au blé, reconstruite à partir de la fin des années 17201, se trouve à l’emplacement de l’hôtel des postes, place des Fontaines (aujourd’hui place Charles-Surugue). Telle qu’elle est représentée sur les plans de la première moitié du XIXe siècle, la halle comportait deux ailes entourant une petite place. Une des deux ailes était sans doute partiellement consacrée au commerce de la viande de boucherie et dénommée « halle à la viande ».
La halle au poisson, reconstruite à partir de 17172, se trouve dans un îlot aujourd’hui détruit, face à l’actuelle façade de la Caisse d’Épargne. Sur le modèle de la halle au blé, la halle au poisson comportait deux ailes, dont l’une est spécialisée dans la vente de charcuterie.
Des étalages dressés dans le quartier de l'hôtel de ville
Le commerce des autres denrées a lieu pour l’essentiel dans les rues étroites situées entre les deux halles et la place de l’hôtel de ville. En 1802, un accident de circulation met en évidence les dangers de ces espaces exigus où les acheteurs, les vendeurs et leurs étals doivent voisiner avec la circulation des voitures. Ne souhaitant pas remettre en question la vocation commerçante du quartier, la municipalité opère de simples transferts de localisation des marchands, qui restent regroupés par spécialités.
Un nouvel espace ouvert au commerce
Le nivellement de la place de la Concorde à l’emplacement de « l’ancienne maison des Cordeliers » (aujourd’hui place des Cordeliers), vient offrir un nouvel espace au commerce tout en accentuant la spécialisation du quartier3. Afin de fixer les commerces, l’adjudicataire des droits de place sollicite en 1805, l’autorisation de « construire sur cette place des baraques en bois pour mettre à l’abri les marchands qui approvisionnent Auxerre ».
Les « tentes »
Les douze abris construits inaugurent une série de bâtiments qui se succèdent sur la place jusqu’en 1975. Ces installations sommaires sont reconstruites en 1817 sous forme de halles de bois, dénommées « tentes » dans les textes de l’époque, composées de colonnes de bois soutenant une charpente couverte d’ardoise4. Le tout est aménagé avec des bancs de bois sur lesquels les détaillants posent leurs marchandises.
Cette solution architecturale, peu coûteuse, est encore envisagée en 1865-1866 lorsque, pour faire face à l’augmentation du commerce, la municipalité envisage la construction de trois nouvelles tentes5, car « les tentes actuelles du marché de notre ville, construites depuis longtemps, sont aujourd’hui dans le plus mauvais état et ne répondent plus aux besoins du jour, ni à l’étendue de la place qui est devenue beaucoup plus spacieuse par l’acquisition et la démolition de plusieurs maisons ».
Dans les années 1850, la vocation de commerce alimentaire du centre-ville s'affirme
Au milieu des années 1850, le contexte commercial change. Le commerce des marchandises encombrantes s’éloigne du centre-ville en direction des promenades. Ainsi en 1853, les merrains, échalas, cercles, tonneaux, cuviers, osiers et liens, anciennement vendus rue de la Fannerie, s’échangent désormais porte de Paris6. Il en va de même pour les fourrages qui ont délaissé la place des Fontaines pour la place des Véens. En 1857, la municipalité a fait reconstruire la halle au blé sur son emplacement. Les travaux sont achevés en 1859. Toutefois, les réserves de farines destinées aux boulangers qui se trouvaient auparavant à la halle au blé sont déplacées au faubourg Saint-Gervais7.
La vocation de commerce alimentaire de détail du centre-ville s’affirme. Deux arrêtés du maire réglementent en 1866 la tenue des trois marchés hebdomadaires (lundi, mercredi et vendredi). En janvier, considérant que « l’industrie des traiteurs, marchands de comestibles et revendeurs a pris dans la ville depuis quelques années, une grande extension, qu’il est juste et utile d’accorder à ce commerce toutes les facilités qui ne peuvent nuire à l’intérêt public » et que « ces mesures... sont conformes au régime de liberté que partout réclame le commerce et que les mesures prises par le gouvernement de l’empereur tendent de plus en plus à lui assurer », les marchés sont ouverts aux revendeurs aux mêmes heures qu’aux particuliers8. Même si elle n’a pas été poursuivie, cette expérience montre une volonté de dynamiser les échanges. En août, « considérant l’affluence croissante des marchands » il est mis en place dans les halles du marché « un classement qui attribue à chaque nature de marchandises une place distincte et séparée »9.
On trouve désormais sur le marché les commerces alimentaires (marchands de marée, fromages secs ou passés, volaille et gibier, gâteaux, légumes, beurre, crème et fromages mous, marchands d’Appoigny, jardiniers d’Auxerre, marchands de Fleury, marchands de fruits). Les autres commerçants sont placés aux extrémités de la place du marché (marchands de chiffons) ou place de l’hôtel de ville (« bimbeloterie, mercerie, étoffes et autres choses semblables »).
La lente mise en chantier d'un marché couvert
Le concours de 1867
Face à l’expansion du commerce, l’opinion auxerroise est acquise à l’idée de moderniser sa place du marché et, en 1867, le conseil municipal lance un concours pour la construction d’un marché couvert. Le programme du concours soumis aux architectes décrit ainsi le projet :
« L’espace à couvrir, de 59 mètres de longueur sur 29 mètres de largeur, sera divisé en quatre carreaux, par deux voies principales de circulation à voiture, d’axe en axe ; ces voies n’auront pas moins de 5 mètres de largeur. Dans chacun de ces compartiments et adossés aux gouttereaux, seront disposées treize places fermées, en tout cinquante-deux, de chacune 4 mètres de surface. Dont : 20 pour bouchers et charcutiers ; 6 pour tripiers ; 12 pour marchands de poisson et marée ; et enfin 14 pour marchandises diverses. ».
Une vingtaine de projets sont adressés à la municipalité. Deux d’entre eux ont été conservés aux Archives municipales : il s’agit des projets de Lesage, architecte à Auxerre, et du lauréat du concours, André Boudoy, de Paris.
Mais le montant excessif du projet met fin à cette initiative d’ailleurs vigoureusement combattue par le maire, Ambroise Challe pour qui les détaillants « presque tous... des femmes de la campagne craignant peu les intempéries et ne se souciant que du bas prix de leurs places » ne seraient pas prêts à venir vendre leurs denrées dans un bâtiment moderne10. Les halles restent donc en service jusqu’au milieu des années 1870.
Le premier marché couvert : une halle métallique de réemploi
L’édification d’un marché couvert devient l’un des chevaux de bataille des Républicains auxerrois pour qui il s’agit d’un bâtiment symbolique. Les élections municipales de l’automne 1874 donnent aux Républicains la possibilité de mener à son terme ce nouveau projet. En février 1874, le conseil municipal entérine le traité passé entre les délégués du conseil et MM. Lebouché et Grosclaude, propriétaires des bâtiments de l’exposition universelle et internationale de Lyon de 1872. Il s’agit pour la ville de faire l’acquisition des pièces de la charpente métallique de « la galerie n° 5 de l’exposition de Lyon, représentant 50 mètres de long », de « 11 fermes de la partie centrale et de 180 mètres de parties latérales ». Après de longues tractations, le projet est approuvé par le préfet en octobre 187511.
L’année 1876 voit la mise en service du marché couvert. En août, le conseil municipal détermine le « classement des marchands par catégories » : « la commission a décidé que la partie qui se trouve du côté de la maison Pescheux serait affectée aux marchands de comestibles, et l’autre, du côté de la maison de la rue Dampierre, aux marchands de légumes ; que, de même, dans le pourtour du marché, des places spéciales ont été assignées aux marchands de poisson et marée, ainsi qu’aux bouchers, charcutiers et tripiers »12. En septembre, les cases du marché font l’objet d’adjudications, ainsi que les places extérieures, destinées aux étalagistes, situées sur la voie publique aux abords du marché13. Les lundis, mercredis – jours des petits marchés –, et vendredis, c’est le son de la cloche qui rythme les heures d’ouverture et de fermeture du marché ou qui autorise les acheteurs professionnels à participer aux transactions.
En 1881, la ville lance deux enquêtes en vue de l’acquisition d’un petit îlot de maisons séparant le marché de la rue de Paris. La municipalité fait construire sur cet espace un petit pavillon métallique destiné au marché aux fruits. Les travaux sont confiés à la société anonyme de Saint-Éloy, d’Orléans en juin 1884 et achevés en 1885.
Le marché couvert se dégrade rapidement, dès les années 1895. En janvier 1901 débute le projet de reconstruction du marché avec l’élaboration d’un projet de dégagement de la place14. L’opération conduit à la démolition du marché couvert en juin 190315. Seul subsiste le marché aux fruits, démonté et reconstruit à proximité de la nouvelle piscine de l’Arbre-Sec.
La place du marché ne reste pas longtemps vide, puisqu’un nouveau marché couvert y est construit et inauguré en septembre 1904. Mais c’est une autre histoire...
J.-F. Bissonnet/Ville d'Auxerre - 2017
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1. Permission accordée aux administrateurs de l'Hôtel-Dieu d'Auxerre de faire construire une halle aux grains : recueil de copies d'un arrêt du Conseil du roi, de lettres patentes royales et d'arrêts du parlement de Paris (12 novembre 1726-13 juin 1727, Feudiste 149 n° 4).
2. Renouvellement du contrat passé avec les Cordeliers pour la reconstruction de la halle au poisson : procès-verbal d'assemblée générale des habitants par François Ragot, gouverneur du fait commun (23 mai 1717, Feudiste 155 n° 4).
3. Délibérations du 29 pluviôse an IX (1 D 16, fol. 48 et 49) : « Le terrain réservé par la ville de l'ancienne maison des Cordeliers et qui forme la place appelée de la Concorde peut, et doit être utilisé... Le maire est autorisé à faire opérer le nivellement de la ditte place de la Concorde et sa mise en état pour l'emplacement du marché indiqué pour cette place par la délibération qui précède » [c'est-à-dire, marché du beurre, des oeufs, fromages, volaille, gibier et légumes d'Appoigny]. L'appellation de « place du Marché-Neuf » est postérieure.
4. Devis et détail estimatif des divers ouvrages de maçonnerie, charpente, couverture en ardoise et autres pour la reconstruction des abris du marché neuf de la ville d’Auxerre (5 juillet 1817, 1 M 16/2).
5. Avant-projet, métré et détail estimatif pour la construction de trois nouvelles tentes nécessaires à la place du marché (22 septembre 1866, 1 M 16/3).
6. Arrêté du maire du 16 juillet 1853 (1 Iprov 275).
7. Denise Pineaux, Architecture civile et urbanisme à Auxerre (1800-1914), Auxerre, Impr. Moderne, 1978, p. 157-162.
8. Arrêté du maire du 2 janvier 1866 (1 Iprov 277).
9. Arrêté du maire du 22 août 1866 (1 Iprov 279).
10. Observations présentées au conseil municipal d’Auxerre par M. Challe, maire, dans la séance du 2 août 1868, contre la proposition d'emprunt de la commission de finances (2 août 1868, 1 M 16/3).
12. Délibération du conseil municipal du 18 août 1876 (1 M 16/4).
13. Avis du maire pour procédure d’adjudication (9 septembre 1876, 1 Mprov 76).
14. Délibération du conseil municipal (24 janvier 1901, 1 Mprov 81).
15. Adjudication des travaux de démolition du marché couvert à l’entreprise Dumonteil-Fougeron, entrepreneur (Paris) (8 juin 1903, 1 M 17/3).